Ecolofil est un blog écolo, fait de petits articles (fils), ayant comme modeste ambition de vous éclairer sur les turpitudes humaines portant atteinte au devenir de notre planète. Ces articles sont très succincts, mais agrémentés par des liens sur lesquels il vous suffit de cliquer, et qui vous renvoient vers davantage d'explications, tout comme les images. Bonne lecture !

Le braconnage de l'ortolan

J'avais déjà répondu au coordinateur technique national la Fédération nationale des chasseurs qui, par l'artifice d'un langage alambiqué sur le site Ornithomdia, niait les ravages de la vague de froid de 2010 sur la faune et dédouanait ainsi les chasseurs de leurs responsabilités. Cette fois, c'est le président de la Fédération des chasseurs des Landes qui s'y colle, en tenant le même genre de discours à propos du braconnage du bruant ortolan. Ce qui a le mérite de lever le voile sur les intentions de ceux qui prétendent vouloir "réguler" l'environnement et faire découvrir leur macabre loisir dans les écoles.


Ornithomédia : La chasse au Bruant ortolan est interdite depuis 1999, or, chaque année entre la mi-août et la mi-septembre, 30 000 oiseaux sont capturés illégalement : quelle est la position officielle de la fédération des chasseurs des Landes sur ce sujet ?

Jean-Roland Barrère (président de la FDC 40) : Avant de répondre sur la position de la FDC 40, qui est très claire et surtout inchangée depuis l’année de la protection de l'espèce, une première remarque, pouvant même être assimilée à une question, s’impose : d'où sort ce chiffre de 30 000 oiseaux ? On trouve dans la presse divers chiffres allant de 30 000 (LPO) à 50 000 (ASPAS), sans jamais la moindre source citée (publication, méthodologie, dires d'experts ?). C'est pourtant aux yeux de l'opinion publique une question importante. 
Très récemment, une question écrite a été envoyée au Président de la Ligue de Protection des Oiseaux afin qu'il nous apporte un éclairage sur ce point : vous pouvez télécharger au format PDF notre courrier du 26 août 2013, la réponse d’Allain Bougrain-Dubourg du 27 août et notre réaction du 30 août. Ce chiffre de 30 000 oiseaux est, du moins à l'heure actuelle, parfaitement risible, voire burlesque.
La position officielle de la FDC 40 est la suivante : nous acceptons tout à fait la protection du Bruant ortolan telle qu’elle est présentée dans l’annexe I de la Directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages et bien entendu sa déclinaison dans l'arrêté du 17 avril 1981 modifié en 1999 (actuellement l’arrêté du 29 octobre 2009). La FDC 40 reconnaît qu'en l'état actuel des textes, la chasse du Bruant ortolan à la matole est une pratique interdite au regard des textes en vigueur. Il est d’ailleurs facile de se procurer la copie des procédures où la FDC s'est constituée partie civile sur des cas de chasse illicites.

Ecolofil : le chiffre avancé de 30.000 ortolans capturés chaque année provient d'une estimation par rapport aux matoles posées, aucune étude officielle sérieuse n'existant à ce sujet. Pourquoi d'ailleurs n'y en a t'il pas ? On voit mal les ornithologues risquer leur personne à arpenter ces terres hostiles, et on voit mal aussi la FDC 40 et la FNC froisser les braconniers, qui sont sans nul doute également des chasseurs.


Ornithomédia : Que pensez-vous de l'action médiatique d'Allain Bougrain-Dubourg (LPO) et du CABS (Committee Against Bird Slaughter) du 31 août 2013, au cours de laquelle des oiseaux ont été libérés ?

Jean-Roland Barrère : La FDC 40 n'est jamais intervenue pour ou contre ces actions, essentiellement médiatiques. Doit-on y voir une utilité pour ces associations ? La fédération fait simplement remarquer que tous les oiseaux récupérés n'ont pas été relâchés (voir certains reportages télévisés et la page Facebook de la LPO) et qu’ils ont été transportés sans autorisation de transport vers un centre dont nous ne savons pas s’il dispose de toutes les autorisations nécessaires. Peut-on réclamer l'application de la loi quand on la bafoue soi-même ? 
Concernant les militants du CABS, leurs méthodes (NDLR : certains ont détruit des matoles) peuvent cependant inciter à réfléchir tant sur le fond que sur la forme. Qu'il n'y ait eu aucun incident est un miracle !

Ecolofil : La LPO possède des centres de soins tous agréés (vous pensez bien que les chasseurs ont vérifié), dans lesquels les oiseaux peuvent être déposés pour y être soignés, puis relâchés. Quant à la destruction des matoles, à défaut que les pouvoirs publics, toujours aussi laxistes, fassent saisir ces engins prohibés, il n'y avait d'autres solutions que les détruire pour éviter qu'ils ne soient réutilisés.


Ornithomédia : La chasse au Bruant ortolan est-elle une tradition qui doit être maintenue à tout prix ?

Jean-Roland Barrère : Cette question est-elle objective ? Est-ce qu'une culture (préférée au terme de tradition) est indispensable ? A l'évidence non ! La terre ne s'arrêtera pas de tourner si l'on ne chasse plus l'ortolan... Cela reste vrai pour d'autres activités, presque tous les loisirs d'ailleurs ! 
Donc, a contrario, doit-on laisser partir tous les patrimoines, les mémoires, les arts anciens du simple fait qu'ils sont endémiques ? La chasse à la matole ne se pratique qu'en Aquitaine (pour l'Alouette des champs) et uniquement dans une partie des Landes pour le Bruant ortolan. 
Les techniques de fabrication des matoles en Châtaigner ne se trouvent nulle part ailleurs dans le monde ! On ne cesse de nous parler de "conservation".
La culture landaise échappe-t-elle à cette règle ? Pour être concret, si la pratique ici discutée n'est pas de nature à remettre en cause l'état de conservation de l'espèce et qu'elle permet de maintenir vivace un héritage unique, existe-t-il une raison valable de la faire disparaître ? 

Ecolofil : La réponse de M. Barrère est particulièrement tordue. Mais la mienne l'est moins. On trouvait encore dernièrement des matoles en châtaigner ... comme objet de collection à vendre sur un site d'enchère bien connu, mais pas sur le terrain ! Et à moins de considérer que fabriquer une cage en grillage est un art primaire, je me demande de quelle culture on parle.


Ornithomédia : Demandez-vous une dérogation européenne pour cette chasse ?

Jean-Roland Barrère : Cette question est corrélée avec la première de votre interview. Si la FDC 40 reconnaît la protection de l'espèce, elle reconnaît également le droit européen. La Directive 79/409 prévoit et permet des possibilités de dérogation, même pour des espèces protégées et pour des activités récréatives comme la chasse. Pour éclairer et aider les états, un guide sur la chasse durable compatible avec la Directive "Oiseaux" a été réalisé et sa version française a été promue par le Ministre Jean-Louis Borloo le 16 mars 2009 en présence du Commissaire européen Stravros Dimas. 
Voici son introduction : "Ce guide, fondé sur des données scientifiques, apporte des éclairages fondamentaux sur l’application pratique de la directive en matière de chasse. Le respect des principes qui y sont développés permettra l’exercice d’une chasse parfaitement compatible avec la directive “Oiseaux”. Messieurs Borloo et Dimas encouragent fortement les autorités régionales et nationales et les associations à se référer à ce guide lors de leurs futures réflexions relatives à la chasse aux oiseaux. La Directive "Oiseaux" a pour objectif la conservation des oiseaux sauvages. Elle reconnaît pleinement la légitimité de la chasse en tant que forme d’utilisation durable de certains oiseaux".
Ce document fournit l'ensemble des réflexions et tous les pré-requis nécessaires pour prétendre à une dérogation. La FDC 40 pense que la capture du Bruant ortolan à la matole dans des conditions strictement contrôlées peut en faire partie. Il est donc exact que nous travaillons pour demander une dérogation au sens de l'article 9 de la Directive.

Ecolofil : M. Barrère devrait mettre ses tablettes à jour. La directive 79/409 a été remplacée par la directive 2009/147. Celle-ci permet effectivement de chasser les espèces autorisées, ainsi q'un prélèvement de 1% sur les espèces protégées, mais le bruant ortolan figure sur la liste rouge des espèces menacées sur l'ensemble du territoire de l'union européenne, du fait de la diminution drastique de ses effectifs (-84% en 30 ans). Alors parler de chasse récréative sur cet oiseau est un non sens écologique.


Ornithomédia : Une partie importante des Bruants ortolans capturés serait en fait vendue : qu’en pensez-vous et peut-on encore parler de tradition dans ce cas ?

Jean-Roland Barrère : C’est une autre affirmation, largement colportée, où l'on donne même des prix pouvant aller jusqu'à 150 € par oiseau. L’Association Départementale des Chasses Traditionnelles à la Matole s'est très fortement investie pour éradiquer cette pratique. Aujourd'hui le commerce a disparu et il est facile de le vérifier : essayez de trouver un ortolan à vendre ! Sur ce point, la FDC 40 est très vigilante et effectivement, la vente ne peut être tolérée sous aucune manière.

Ecolofil : Ce n'est pas l'association des chasses traditionnelles à la matole, mais la pression des associations naturalistes, qui a fait que le commerce de l'ortolan ne se fait plus en plein jour. Il se pratique à présent sous le manteau ou dans les arrières salles de restaurants, comme chacun sait.


Ornithomédia : Quelques centaines à un millier de chasseurs s'adonneraient à cette chasse dans le département des Landes : peut-on être à la fois adhérent à votre fédération et pratiquer la chasse au Bruant ortolan ?

Jean-Roland Barrère : La FDC 40 reste sur la ligne suivante : une personne (elle peut être titulaire d'un permis de chasse ou non) qui décide de tendre des matoles le fait sous son entière responsabilité. La métaphore est simple mais toute trouvée : si vous dépassez les limitations de vitesse sur la route, vous le faites en prenant vos responsabilités. 
Par ailleurs, à ce stade des travaux, la FDC 40 ne connaît pas les tendeurs. Si la pratique faisait l'objet d'une dérogation, un recensement serait obligatoire et les installations non déclarées seraient en infraction et punissables.

Ecolofil : sous son entière responsabilité, avec la bénédiction de la FDC 40. N'oublions pas que les fédérations de chasseurs, au bénéfice de lois votées dans les conditions qu'on connaît, sont à présent agrées associations de protection de l'environnement, et il est donc de leur responsabilité morale d'intervenir auprès de leurs adhérents pour faire cesser toute forme de braconnage. 


Ornithomédia : Demandez-vous à vos adhérents de détruire ou de signaler aux autorités les matoles trouvées ?

Jean-Roland Barrère : La FDC 40 informe tous les ans ses adhérents que la pratique est interdite en l'état actuel des textes. Tout le monde sait néanmoins que nous travaillons à l'obtention d'une dérogation.

Ecolofil : Le loup sort enfin du bois !


Ornithomédia : Si elle ne prend pas des mesures fermes pour arrêter le braconnage, la France risque de fortes amendes et jusqu'à 400 000 euros d'astreinte par jour : les non-chasseurs et les chasseurs respectueux de la loi n’ont-il pas là une raison d’être choqués en cette période de difficultés budgétaires et d’augmentation importante de la pression fiscale ?

Jean-Roland Barrère : Jamais la France n'a payé d'astreintes pour des dossiers pourtant bien plus délicats que la chasse au Bruant ortolan. Cet argument n'est rien d'autre qu'un épouvantail ayant pour but d'influencer l'opinion publique. Les chasseurs ont bien plus de raisons d'être choqués d'être la seule catégorie de contribuables (bénévoles) à financer intégralement les dégâts de grand gibier, pourtant res nullius (= n’appartenant à personne), ce dont la société profite pleinement.

Ecolofil : Les agriculteurs sont aussi majoritairement chasseurs, mais ne parviennent pas à limiter l'impact du grand gibier (on parle principalement du sanglier) sur leurs cultures, car en fait celui-ci se réfugie au sein des grandes propriétés, où il est parfois nourri aux fins de contenter des actionnaires avides de leur passion, voir les agriculteurs eux-mêmes qui font des cultures à gibiers pour joindre l'utile (dédommagement) à l'agréable (battues). Mais on reste de toute manière entre gens de connaissances : les chasseurs. Quant aux astreintes, puisqu'elle ne seront pas payées, pourquoi ceux-ci s'en soucieraient-ils ?


Ornithomédia : Pensez-vous que de l’action de contrôle et de répression des gendarmes soit suffisante actuellement ?

Jean-Roland Barrère : Cette année, de nombreuses personnes ont été convoquées par les gendarmes. Nous sommes dans l'attente des avis ou des peines qui seront données. Au regard des problèmes de notre société (chômage, drogues, violence), la chasse est une activité fortement encadrée et contrôlée. On peut toujours faire plus, mais cela serait au détriment d'autres secteurs, c'est un choix des autorités.

Ecolofil : Evidemment que l'action des gendarmes est insuffisante, puisque le braconnage continue au vu et au su de tout le monde. Et la mansuétude des autorités n'a rien à voir avec leur manque d'effectifs, ce sont les chasseurs et leurs fédérations qui font obstacle à leur action, via les élus locaux.


Ornithomédia : Cette espèce est menacée en France et en Europe : êtes-vous d’accord sur ce point ?

Jean-Roland Barrère : Il a souvent été reproché aux structures cynégétiques de se concentrer uniquement sur le "lobbying" politique en laissant de côté la dimension scientifique. Curieusement, quand la FDC 40 a repris ce dossier uniquement sous l'angle scientifique, une période de flottement s'est fait ressentir. Aujourd'hui, sans pouvoir tirer des conclusions définitives, il est un fait que "l'espèce nominale" n'est pas menacée de disparition. L'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) l'a encore confirmé dans son examen des Listes Rouges en 2012. Par contre, il ne fait aucun doute non plus que certaines populations sont en fort déclin, et la FDC 40 ne le conteste absolument pas. La question est de savoir pourquoi celles-ci (en Finlande, en Suède et en Norvège essentiellement) diminuent. Quels sont les leviers pouvant inverser cette tendance ? Comment expliquer que plusieurs populations du sud de l'Europe présentent une tendance à l'augmentation (lire Le Bruant ortolan : en déclin en Europe, mais en expansion en Italie ?) ? Et enfin, est-ce la chasse landaise qui provoque le déclin de ces populations ? Il faudrait aborder les notions de prélèvements additifs ou compensatoires, déterminer l'origine des oiseaux prélevés…
Selon l'état actuel de nos connaissances, d’après les conclusions du quatrième symposium sur le Bruant ortolan qui s’est tenu en Allemagne en 2007, l'impact de la chasse serait "faible" (terme exact). Nous savons aujourd'hui que ce sont principalement les oiseaux d'Europe de l'Est qui transitent par la façade atlantique, où les populations sont encore importantes (voir le rapport du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris). La demande de dérogation reste donc légitime. En effet, et c'est un point important, s’il était établi que la pratique landaise était la cause de la disparition de l'espèce, la FDC 40 cesserait son travail sur ce dossier.

Ecolofil : Qu'est-ce que la FDC 40 entend par "reprendre le dossier sous l'angle scientifique" ? Où sont les études ? Aux dernières nouvelles, l'espèce nominale elle-même est en régression en Russie et, à défaut de savoir pourquoi les populations de Scandinavie sont en déclin, il conviendrait déjà de les protéger du braconnage dans le Sud-Ouest durant la migration, car ce facteur là est maîtrisable. Et tiens, d'un coup, le président de la FDC 40 emploi le terme de "chasse landaise" en parlant du braconnage ! Et de reprendre moi-même le rapport du Muséum National d'Histoire Naturelle dans lequel il est dit en page 18 : "il est logique et clairement établi que les ortolans de l’est de l’aire de répartition ne passent pas par la France". Et en page 21 : "La tendance nord-ouest européenne, c’est-à-dire celle des populations qui transitent obligatoirement par la France, est au déclin et elle dépasserait les -50% en dix ans (liste rouge UICN-F, MNHN et al., 2011)".

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