Ecolofil est un blog écolo, fait de petits articles (fils), ayant comme modeste ambition de vous éclairer sur les turpitudes humaines portant atteinte au devenir de notre planète. Ces articles sont très succincts, mais agrémentés par des liens sur lesquels il vous suffit de cliquer, et qui vous renvoient vers davantage d'explications, tout comme les images. Bonne lecture !

Pesticides et biodiversité


A l’échelle mondiale, les spécialistes prédisent la perte d’ici la fin du présent siècle, en tant qu’espèces, d’un tiers des amphibiens, d’un quart des mammifères, d’un cinquième des plantes, d’un dixième des oiseaux (Cagan & al. 2004). A l’échelle européenne, en prenant comme référence l’année 1980, la chute moyenne des effectifs des espèces d’oiseaux des milieux agricoles est de 30%, en Angleterre en prenant comme référence 1970 la chute est de 45% (Brown Sue Amstrong), en France, en prenant comme référence 1990 (1), la chute est de 30%. Quelle serait l’hécatombe si la référence était l’année 1950 ? De plus, ce sont là des taux moyens qui cachent d’importantes disparités entre espèces. Ainsi en Angleterre (Sue (3), la chute du bouvreuil est de 76%, celle de la tourterelle des bois de 77%, celle du moineau friquet de 89%. En France, la chute de la huppe est de 56%, celle du tarier des prés de 60%. Dans une étude sur l’alouette des champs, l’ONCFS montre qu’il existe une corrélation particulièrement étroite entre l’intensification de la production agricole et la chute de cette espèce en tant que nicheuse. Le dossier d’expertises réalisé par l’Inra et le Cémagref (2005) à la demande des ministères de l’agriculture et de l’écologie, «  Pesticides agriculture et biodiversité » note également que « l’intensification agricole associée à l’irrigation s’est trouvée associée à une réduction de l’abondance des populations d’invertébrés » tout comme « on constate un déclin des invertébrés épigés dans le paysage agricole associé à l’intensification depuis les 40 dernières années qui concerne des groupes taxonomiques très variés ». Campbell (1997) et Liess (2005) en constatant que pour 11 espèces sur douze pour lesquelles une date de début du déclin des populations a pu être estimée, le début de ce déclin coïncidait avec une période d’utilisation massive de pesticides notamment d’herbicides, ont ainsi relié et attribué ce déclin des oiseaux des milieux agricoles à l’usage massif des pesticides.

Les devenirs et les modes d’actions des pesticides.
Pour en connaître les causes et les effets il faut d’abord prendre connaissance du devenir des pesticides dans l’environnement ainsi que de leurs modes d’action. La proportion de matière active qui atteint sa cible est souvent faible voire très faible. De l’ordre de 30 à 0,3% dans certains cas. L’essentiel de ces produits est donc ainsi libéré « pour rien » dans l’environnement. Une part de celle qui tombe au sol, est, par voie chimique ou bactériologique dégradée, une autre forme avec le sol des résidus liés non dégradés. Cette part pourra être remobilisée plus tard sous l’action d’agents divers. Une autre part soit par vaporisation, volatilisation, écoulement latéral ou vertical, ou ruissellement rejoint les eaux des nappes ou de surfaces (Calvet R. 2005). Ainsi, 57% des nappes et 75% des eaux de surfaces sont-elles en France contaminées par les pesticides (IFEN 2002). La quantité de pesticides contenus dans les sols et migrants vers les nappes n’est pas connue. Elle semble considérable puisque dans le Val-d’Oise, quatre années après l’interdiction de l’atrazine, le BRGM (2006) note que la contamination des eaux des nappes est quasi la même. Enfin, une part est absorbée par les plantes et les animaux sans pour autant être métabolisée, donc toujours active. Ajoutons que la part en vagabondage aérien retombe n’importe où avec les pluies.
Les mécanismes d’actions des pesticides font littéralement froid dans le dos. Une première famille détruit les voies de biosynthèse des molécules essentielles ou en empêche la production, une autre s’attaque aux mécanismes mêmes du fonctionnement cellulaire (respiration, division, croissance…), une dernière vise les communications entre neurones comme le font 90% des insecticides. La plupart d’entre eux bloquent le fonctionnement enzymatique par lequel est détruite l’acétylcholine ayant transmis l’information d’un neurone à l’autre et donc bloquent le fonctionnement ultérieur de cette synapse. Il s’agit donc de neurotoxiques. Les cibles choisies du système nerveux en passant par la respiration et la photosynthèse à la chlorophylle, altérant le fonctionnement naturel des êtres vivants sont donc nombreuses et variés autant qu’inquiétantes car toutes vitales (Calvet R. 2005).

En dehors du but poursuivi, l’éradication de populations d’espèces tant végétales qu’animales considérées comme nuisibles aux intérêts humains, quels sont dès lors les effets indirects, prévisibles et les éventuels effets directs inattendus à court ou à long terme sur les espèces « non cibles » de ces poisons ? La littérature anglo-saxonne regorge d’exemples. Prenons les dans cet ordre.

Les effets indirects.
Les effets indirects (Brown S.A.) étaient clairement prévisibles car ils mettent en cause les ressources alimentaires. Ainsi, des épandages, plus ou moins simultanées, d’insecticides en zone de grandes cultures font disparaître brutalement, les insectes ravageurs ainsi que nombre d’insectes prédateurs et parfois, comme l’a montré l’étude en Camargue de Mesléard & al. (2005), plus sensiblement les insectes prédateurs que les invertébrés ravageurs. Toutes les espèces qui dépendent des protéines animales offertes par les insectes pâtissent de cette perte brutale de nourriture, ce qui explique, indépendamment de tout autre effet possible, la chute de leur population par une baisse de productivité résultant d’une forte mortalité des jeunes. Les herbicides sont aussi responsables de la disparition des insectes hôtes et surtout de la disparition de ces plantes porteuses de graines pour l’hiver et donc de l’amenuisement de cette ressource alimentaire pour les oiseaux durant cette période cruciale pour eux.

Les effets à court terme ou la toxicité aiguë.
Les effets directs à court terme sont la conséquence d’une toxicité aiguë, souvent à dose infinitésimale, entraînant une forte mortalité dans une population « non cible ». Séverine Suchail (In Cicollela 2005) a ainsi montré sur l’abeille que la dose d’imidaclopride provoquant la mort de 50% d’un lot d’abeilles est de l’ordre de un dixième de milliardième de gramme par gramme de poids corporel. Mais les abeilles ne sont pas les seuls à souffrir de cette molécule. Le glyphosate tue de la même manière (Hassan & al, 1988 in F. Veillerette 2003) les coccinelles, les guêpes parasites, les scarabées, voire, (Rick A. Relyea 2005) 100% des larves d’amphibiens trois semaines après une exposition, ou de 68 à 86% après une exposition en laboratoire aux doses recommandées. Pierre Mineau (2005) reprenant à la fois les travaux de Balcomb (1986) qui mettent en évidence que 75% des carcasses d’oiseaux morts disparaissent en 24h d’un champ de blé nu et ceux de Booth & al. (1983, 1986) qui mettent en évidence qu’à chaque recherche 60% seulement des carcasses sont retrouvées, conclut que les carcasses d’oiseaux trouvées ne représentent pas plus de 15% du réel. Appliquant ce modèle, il conclut que l’usage du seul carbofuran, au pic de son emploi, fut responsable aux Etats Unis de la mort par toxicité aiguë de 17 à 91 millions d’oiseaux chanteurs annuellement. L’U.S. Fish & Wildlife Service (2000) (16) d’après Pimentel considérant que 10% du total des oiseaux des milieux agricoles sont victimes d’intoxication aiguë, avait estimé à 67 millions cette mortalité. Pour les poissons, l’estimation porte sur une mortalité qui s’élève entre 6 à 14 millions par an. P. Mineau souligne en outre que l’emploi localisé de pesticides peut avoir un impact considérable dans les territoires d’hivernage. Ainsi le monocrotophos un organophosphoré (Hooper & al. 1999 in P Mineau) fut responsable, dans la Pampa Argentine de la mort de 20 000 buses de Swainson ainsi que de dix mille rouges-gorges américains dans deux champs de pomme de terre en Floride (Lee 1972 in P Mineau). Le fenthion (Seabloom & al. 1973 in P Mineau) fut quant à lui responsable de la mort de plusieurs milliers d’oiseaux appartenant à trente-sept espèces migratrices. Il conclut (2002, 2005) en affirmant que « les publications de cette mortalité ne sont pas des évènements isolés mais la partie émergée de l’iceberg », et surtout que « l’absence de carcasses n’est pas un bon indice de mortalité ».

Les effets directs à long terme ou la toxicité chronique.
Les effets à court terme ne sont cependant peut-être pas les plus graves. Les effets les plus inquiétants sont les effets cachés résultant d’une toxicité dite chronique qui se révèle à long terme. La difficulté réside alors dans la mise en évidence de la corrélation entre un produit et un effet. Ces effets négatifs ont donc toutes chances de passer inaperçus. Cependant, des expériences sur l’animal en laboratoire ou en semi liberté apportent des informations précieuses pour se faire un jugement.
Historiquement les effets négatifs chroniques sur les êtres vivants des pesticides ont été mis en évidence dès les années 50-60. Le DDT (DichloroDiphénilTrichloroéthane) et ses effets toxiques sont bien connus des naturalistes. On sait peut-être moins cependant que son interdiction comme « Produit Organique Permanent », en raison de sa lenteur de dégradation dans l’environnement, n’a pas été prise en 1972 en raison de son évidente toxicité pour la faune sauvage, mais parce que le lait maternel, notamment des femmes françaises, en contenait de telles concentrations que le lait de vache était plus sain que le lait maternel. Evoquer le cas du puma en Amérique est intéressant car il montre que la tendance naturelle naturaliste est de privilégier des interprétations propres aux être vivants et non de mettre en cause les poisons répandus dans l’environnement. Ainsi, Théo Colborn (1997) rapporte que l’hypothèse de la baisse de fécondité des pumas était attribuée à la faiblesse de la taille de la population et donc à une trop forte consanguinité. Les études révélèrent qu’il n’en était rien. En réalité, nombre de mâles étaient atteints de cryptorchidie (non descente des testicules) le DDE, un métabolite du DDT, en étant responsable. En Angleterre se sont les PCB (polychlorobiphényle) qui furent mis en cause dans la chute de la population de la loutre. Suite à un déversement accidentel de dicophol dans le lac Apopka, la chute vertigineuse de la reproduction des alligators fut expliquée par de nombreux désordres sexuels qui résultèrent de la présence de cette molécule. Les produits récents ne sont pas en reste, ainsi, le glyphosate (Springett J.A. & al. 1992 in F. Veillerette 2003) est reconnu, entre autres, comme ayant un effet dépressif sur l’activité, ô combien importante, d’une bactérie fixatrice de l’azote atmosphérique qui vit en symbiose avec de petits champignons autour des racines. Les exemples abondent.
Pour dévoiler la vérité sur les effets à long terme des pesticides on ne peut donc faire l’économie de rapporter des recherches fondamentales. Quelques unes seront évoquées ici dans le but de mettre en évidence les principaux effets à long terme découverts ainsi que les facteurs de risques.

Les perturbations hormonales.
Le premier exemple ne traite pas spécifiquement des pesticides mais néanmoins illustre le danger de pratiques apparemment anodines. Cette recherche a été effectuée à l’Université d’Edimbourg (Cartriona & al. 2005). Un lot de brebis a consommé, durant cinq années l’herbe de prairies enrichies, en boue de station d’épuration (respectant les préconisations) pendant qu’un autre pâturait sur des prairies qui en étaient exemptes. A la naissance, non seulement le poids des agneaux mâles fut de 15 à 36% en dessous de celui du lot témoin, mais l’étude comparée des testicules a montré, par comparaison avec ce même lot témoin, un affaiblissement des taux des cellules de Sertoli de 34 à 51%, des gonocytes de 43%, des cellules de Leydig (productrices de la testostérone) de 37 à 46%. Le remarquable ici est non seulement le fort effet induit de la consommation d’herbes de ces prairies amendées au moyen de boue de station d’épuration mais surtout que cet effet atteigne l’embryon au travers du placenta. La barrière placentaire est une passoire. Une autre étude (Hayes & al. 2002) a montré que les grenouilles exposées à un taux aussi faible que celui du dixième de milliardième de gramme par gramme de poids de l’animal conduisait à un taux de 16 à 20% d’hermaphrodisme, certaines d’entre elles ayant jusqu’à trois ovaires et trois testicules. Ces deux exemples illustrent l’un des effets les plus inquiétants des pesticides et de nombreux autres produits chimiques utilisés, l’effet de perturbations du système endocrinien. Nombre de ces molécules en circulation dans le sang des êtres vivants agissent en favorisant l’action des hormones femelles (voire en agissant en tant que telles) au détriment des hormones mâles. A ce titre elles perturbent cet équilibre hormonal si important et si fragile. Il en résulte de nombreuses conséquences, telles celles rapportées sur la formation des organes sexuels ou bien celles sur le fonctionnement sexuel des êtres vivants ou bien encore celles sur le cancer du sein chez la femme. On parle alors de « xénoestrogènes » pour traduire l’idée d’actions de type hormonal féminin de produits étrangers au propre corps des individus.

L’immunodépression.
Le second effet met en cause l’explication attribuant à l’effet de serre la disparition des amphibiens due à l’apparition de maladies nouvelles pour lesquelles ils n’auraient pas de réponses immunitaires efficaces. Une étude américaine (Hayes, 2006) suggère une explication en dehors du domaine de l’hypothèse, plus terre à terre, du domaine de la démonstration. Ainsi des amphibiens ont été exposés aux doses préconisées à un seul pesticide au taux d’un dixième de milliardième de gramme par gramme de poids de l’animal. Le taux de mortalité fut de 5%. En mélangeant neuf pesticides au même taux, la mortalité est montée à 35%. En exposant à ce même cocktail mais au taux de dix milliardièmes et non d’un dixième, la mortalité fut de 100%. L’intéressant est ce qui suit. Un suivi fut mené concernant les 65% de survivants de la seconde expérience. Pas moins de 70% développèrent des troubles de l’équilibre, des otites internes, des méningites, des septicémies, des retards de croissance. En résumé, 35% sont morts, 70% des vivants sont malades. Il ne reste donc que 20% des individus du départ sains. La mortalité due à la toxicité aiguë n’est bien ici que la partie émergée de l’iceberg des effets des pesticides. Cet état immunodépressif est confirmé dans d’autres études notamment la suivante (Kiesecker 2002). Certains nématodes provoquent la déformation des membres d’amphibiens. Imaginez deux mares, l’une avec pesticide, l’autre sans. Imaginez deux récipients dans lesquels sont les têtards. L’un permet l’entrée des nématodes, l’autre pas. Immergez ces deux récipients dans la mare sans pesticide et deux autres identiques dans la mare avec pesticides. Les amphibiens dans les récipients où ne peuvent pénétrer les nématodes n’ont pas de déformations. Par contre ceux dans les récipients où pénètrent les nématodes sont atteints par ces déformations mais, et toute la différence est là, pas au même taux. Entre 20 et 30% dans la mare avec pesticide au lieu de 3 à 8% dans celle sans pesticide. Or, le taux de globules blancs, et donc de succès des nématodes, est significativement bien plus faible chez les amphibiens de la mare contenant des pesticides comparé à celui des amphibiens de la mare sans pesticides. La preuve de l’action immunodépressive de certains pesticides est ainsi rigoureusement mise en évidence. L’hypothèse du réchauffement de la planète n’est peut-être pas à exclure. Mais l’état sanitaire, ici immunitaire, en relation avec l’emploi massif des pesticides reçoit une démonstration éclatante qui nous conduit, en vertu de l’application du principe de parcimonie (de deux hypothèses il faut retenir la plus économe) à retenir l’hypothèse d’un déficit immunitaire résultant de l’usage des pesticides comme prioritaire.

Le système nerveux en panne.
Le troisième effet concerne le système nerveux. Nombre d’insecticides sont des anticholinestérases c’est-à-dire des molécules qui inactivent le fonctionnement des enzymes chargées de détruire les neurotransmetteurs après usage entre les neurones. Une expérimentation instructive (Déborah A. Cory Sletcha & al. 2005) réalisée sur la souris a montré, en mesurant le taux de dopamine produit, que les effets dues à l’exposition à deux pesticides (le paraquat, un herbicide, et le Maneb un fongicide) variaient grandement en fonction de l’âge de l’exposition, du nombre de produits impliqués, du sexe. Ainsi, les mâles sont toujours ou presque plus atteints que les femelles. Mais les deux autres résultats sont de première importante. D’une part, l’exposition au cocktail des deux produits réunis a des effets plus dépressifs sur la production de dopamine (neurotransmetteur impliqué dans la maladie de Parkinson lorsque le taux est trop faible et dans la schizophrénie lorsque le taux est trop fort) que lorsque que les souris reçoivent chaque produit seul. D’autre part, les effets varient avec les modes d’exposition. Exposés au seul stade adulte les effets sont peu marqués. Exposés au seul stade embryonnaire au travers des mères, les effets sont plus marqués. Exposés à la fois au stade embryonnaire puis au stade adulte, les effets sont notoirement plus dépressifs. En conclusion, l’exposition au stade embryonnaire à un cocktail de pesticides pour les mâles se révèle hautement défavorable.
Chez les oiseaux, les expériences conduites en nature sont à l’évidence infiniment plus complexes à mettre en œuvre. Notre propension inconsciente à croire que le problème n’existe pas peut aussi résulter du manque d’études réalisées ou aisément accessibles. Pourtant, dans une synthèse, Walker (2002) cite de nombreuses recherches suivantes et les commentent. Buerger & al. (1991) ont ainsi réalisé un suivi télémétrique sur le colin de Virginie exposé au parathion qui montre un taux de survie de ces oiseaux inférieur à celui du groupe contrôle après trois ans de suivi. Hart (1993) puis Friday & al. (1995) constatent que le chlorfenvinphos fait chuter le vol et le chant de l’étourneau (et donc accroît sa période d’inactivité) de 40%. Grue & al. (1991) constatent que le fénitrothion (un autre organophosphoré) fait chuter le taux de cholinestérase de 50 – 60% chez la mésange boréale. Busby & al. (1990) constatent que deux épandages forestiers de fénitrothion ont réduit ce même taux de cholinestérase de 42 et 30% chez le moineau à gorge blanche au Nouveau Brunbswick, au Canada. Or, réduire le taux de cholinestérase, comme précisé ci-dessus, c’est empêcher la dégradation de l’acétylcholine dans les synapses (Le taux d’acétylcholine est impliqué dans la maladie d’Alzheimer) et donc bloquer le fonctionnement du système nerveux. Heinz (1989) et Peakall (1996) constatent « que les effets comportementaux sont notoirement difficiles à quantifier dans la nature » et regrettent «l’important manque de preuves formelles les reliant aux déclins des populations » faute de moyens sans doute. Pourtant les études comportementales ont montré un large panel « de réponses individuelles allant de la mort à toute une variété d’effets sub-létaux » tels que « l’incapacité à défendre son territoire, la perturbation de la reproduction voire la désertion du nid ». « Le succès reproductif des oiseaux des zones traitées étaient du quart de celle des zones non traitées ».  Nicolaus & Lee (1999) ont en outre montré que chez le merle à ailes rouges (Aegilaius phoeniceus) un effet induit bien connu et lourd de conséquences : « exposé à des proies traitées au fénitrothion cet oiseau ensuite développe une aversion pour les mêmes proies non traitées ».

Messages brouillés. Vie en danger.
Les trois grands systèmes de communication internes aux êtres vivants sont donc perturbés par l’usage des pesticides (et d’un certain nombre des 100 000 molécules chimiques, d’un autre usage, inventées en un siècle) : système hormonal, système immunitaire, système nerveux sans parler des cancers, dont les études épidémiologiques chez l’homme montrent qu’au moins treize types sont corrélés à l’usage des pesticides. Bien évidemment, les cancers concernent aussi les animaux. Les bélugas ou les poissons en sont de tristes exemples. Mais il ne faut pas négliger des études sur l’espèce humaine en tant qu’être vivant qui, au moins du point de vue biologique, n’a pas fait l’objet d’une « création particulière ». Or, une étude (Clément E. Furlong & al, 2006) faite sur des femmes enceintes et leurs bébés révèle l’inégalité entre les individus autant que la grande vulnérabilité des enfants face à l’exposition à ces poisons. Ainsi, selon notre patrimoine génétique nous nous défendons plus ou moins bien contre les pesticides selon que nous produisons ou non en quantité importante des enzymes capables de les dégrader. Si nous sommes génétiquement inégaux, les enfants le sont encore plus puisque quelque soit leur patrimoine génétique ils se défendent infiniment moins bien que les adultes. L’enfant se défendant le moins bien pouvant avoir une sensibilité multipliée par 164 par rapport à celle de l’adulte se défendant le mieux. L’unité de la matière vivante étant une constante, on retrouve des situations similaires chez le rat dont la dose maximale tolérable chez le raton de 7 jours est réduite à 7,7% par rapport à celle du rat adulte. De même une étude (Schreinemachers D. M., 2003) menée en région des grandes plaines du nord des USA en comparaison avec les régions non agricoles retrouvent des effets similaires chez les enfants à la naissance, en particulier un accroissement des taux de malformations des systèmes respiratoire et circulatoire, cardiaque, musculo-tégumentaire et des garçons mort-nés suite à des malformations congénitales. L’exposition la plus nocive (Newby, Howard 2006) est bien celle de l’embryon. L’un des effets les plus redoutés des pesticides est leur capacité à interférer avec le système hormonal. Les premiers temps de la vie intra utérine ou in ovo sont les plus sensibles à d’infimes variations hormonales. La présence de molécules chimiques qui ont une action oestrogénique est donc particulièrement redoutable pour l’ensemble du monde animal homme compris. Bien évidemment, même pour l’homme, ces disparités de sensibilité rendent obsolètes les notions de « doses admissibles » dont Yves Lévy expert Eau de l’AFSSA (Nouzille V. 2005) dit lui-même que ces doses seuils, choisies en fonction des capacités de détection des années 80, « ne correspondent à aucune étude scientifique ni aucun seuil de toxicité ». Les fiers à bras qui se ventent d’avoir usé toute leur vie des pesticides sans précaution ni maladies ignorent que se sont leurs enfants qui payent pour tant d’ignorance ou pire d’insouciance.

« Se servir », « asservir » ou « Servir » ?
« Protéger l’oiseau c’est protéger la vie ».
Depuis qu’il a compris (au néolithique) qu’il pouvait non seulement «se servir » mais aussi « asservir » la nature, l’homme n’a jamais cessé de la repousser aux frontières d’une vie impossible. Depuis un siècle, l’usage de produits toxiques peu ordinaires est devenu d’usage ordinaire comme si cet usage était anodin. Aujourd’hui nous payons, non encore en terme d’espèces mais en terme de chute brutale de population des espèces des milieux agricoles, autant qu’en terme de santé humaine notre insouciance. Pourtant des solutions existent. Les villes comme Augsbourg, Munich, New York, les eaux de Vittel ont choisi, pour réduire la charge en pesticides, d’aider les agriculteurs à adopter un cahier des charges proches ou directement celui de l’agriculture biologique dont le rapport de l’Inra Cémagref affirme qu’il est « transparent », la référence en matière d’exclusion des pesticides. De fait, de nombreuses études sur la biodiversité, rapportées dans l’expertise Inra Cémagref montre son évident intérêt. Le Danemark (Nielsen Hans 2005) qui a mis en place un ambitieux projet de réduction drastique de l’usage des pesticides estime qu’il fait ainsi 60 000 000€ d’économies annuelles. Les études montrent de plus que, corrélativement à la diminution de l’emploi des pesticides, l’index de toxicité orale chez les oiseaux et les mammifères, depuis la mise en place de ce projet, a chuté de 40 à moins de 10 chez les oiseaux et moins de 5 chez les mammifères. Que la réduction de l’usage des pesticides au quart de la dose recommandée se traduit par la réapparition des plantes sauvages autant que par celle d’espèces, ou une densité plus forte de population, d’invertébrés ou d’oiseaux.
A l’évidence si protéger l’oiseau c’est nécessairement protéger les milieux dont ils dépendent, les pratiques dont ces milieux sont l’objet relèvent nécessairement de l’objet même de notre association. En cela, la LPO se doit d’être au cœur de l’action d’une prise de conscience de l’incompatibilité entre le souci de la protection des oiseaux et l’usage des pesticides, au cœur des actions à mener, que cela soit en ville auprès des municipalités, ou à la campagne, auprès des agriculteurs conventionnels, au cœur du débat en martelant notre conviction « Protéger l’oiseau c’est protéger la vie ». L’heure n’est plus à « se servir », ni « asservir » mais bien à « servir ».

Pacteau Christian
François Veillerette
A lire « Pesticides. Le piège se referme » de François Veillerette.
Bibliographie

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